Intervention de Emeline K/Bidi

Séance en hémicycle du mercredi 5 juillet 2023 à 15h00
Renforcer l'accès des femmes aux responsabilités dans la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeline K/Bidi :

Permettez-moi, pour commencer, de me désoler du fait qu'en 2023, l'égalité entre les femmes et les hommes demeure un combat de premier plan. Certains combats semblent malheureusement ne jamais devoir cesser. C'est la raison pour laquelle il nous faut continuer à œuvrer en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde professionnel en plaçant cet objectif au cœur de nos travaux. Nous agissons en ce sens avec cette proposition de loi qui vise à renforcer les dispositions de la loi Sauvadet. Motivée par la volonté de soutenir la nomination des femmes dans les emplois d'encadrement supérieur et de direction au sein des trois fonctions publiques, celle-ci avait inscrit un objectif clair dans notre législation : atteindre 40 % de primo-nominations féminines aux 6 000 postes à responsabilité de la fonction publique – notons que l'égalité ne faisait pas alors partie des ambitions du législateur. Malheureusement, dix ans après, nous devons constater que cette loi n'a pas permis de briser le plafond de verre.

Devant de telles limites, la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat a voulu rendre les dispositions législatives efficientes. Je tiens à saluer l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi issue de ses travaux ainsi que les nombreuses avancées obtenues au cours de la navette parlementaire.

Nous nous félicitons tout d'abord de la suppression de la dispense de la pénalité financière pour non-respect des quotas de primo-nominations dans les emplois d'encadrement supérieur et de direction de la fonction publique, tout en regrettant que certains employeurs préfèrent encore s'acquitter d'une amende plutôt que de nommer des femmes à des postes à responsabilité.

Les échanges entre nos deux assemblées ont permis de relever de 40 % à 50 % le taux de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations, ce qui garantit une parité réelle. L'élargissement des postes concernés au sein des administrations dans les régions, dans les départements, dans les communes, en passant par les cabinets ministériels et le cabinet du Président de la République, constitue aussi un progrès. L'obligation de verser des pénalités financières et des contributions forfaitaires, lorsque les objectifs fixés par la loi ne sont pas atteints, est également une avancée.

Toutefois, nous divergeons sur un point : nous considérons qu'il ne suffit pas que la fonction publique montre l'exemple pour que les entreprises privées le suivent. Il faut être clair : l'incitation sans contrainte n'a que peu d'effets concrets, comme la loi Sauvadet l'a montré. Si cette proposition de loi actionne différents leviers pour renforcer l'accès des femmes aux postes à responsabilité dans la fonction publique, il y a encore beaucoup à faire pour parvenir à l'égalité réelle dans notre société.

Le premier frein à la candidature des femmes à de tels postes reste la charge mentale qui pèse sur elles et les tâches quotidiennes qui leur incombent. Occuper un poste à responsabilité se traduit souvent par des contraintes accrues d'organisation et des horaires alourdis, car ce sont encore elles qui effectuent la majorité des tâches domestiques et des soins prodigués aux enfants. Tant que les femmes, en plus de leur travail, devront assurer la plus grande part de l'intendance dans la sphère privée, il y aura peu de candidates à des postes importants. Par ailleurs, parce que les stéréotypes de genre persistent et qu'ils sont intériorisés par les femmes, souvent dès leur plus jeune âge, le phénomène d'autocensure est plus marqué lorsque des postes à responsabilité se libèrent. À cela s'ajoute la persistance de différences de rémunération, à compétences et postes égaux, entre les hommes et les femmes, problème que plusieurs de mes prédécesseures à cette tribune ont dénoncé.

Je tiens aussi à appeler l'attention sur les situations administratives ubuesques que nous connaissons dans les outre-mer. Je prendrai le cas, monsieur le ministre, de Valérie, réunionnaise admise au concours interne d'ingénieur de la police technique et scientifique. Classée deuxième au niveau national, première pour la zone de l'océan Indien et première à La Réunion, elle a accédé à son nouveau grade le 1er juillet dernier au moment où deux postes se libéraient à La Réunion. Pourtant, pour des raisons administratives, elle n'a pas été affectée à La Réunion où elle était déjà en poste, mais en Martinique, ce qui a conduit plusieurs parlementaires à interpeller le ministère de l'intérieur et des outre-mer sur sa nomination. Je précise qu'à La Réunion, seules 11 % des personnes nommées à des postes d'encadrement dans la fonction publique sont d'origine réunionnaise et que, parmi elles, moins de la moitié sont des femmes – vous connaissez, monsieur le ministre, mon attachement à cet enjeu.

Valérie est un symbole pour toutes les femmes réunionnaises, celui de la réussite et de l'excellence féminine dans un territoire où les inégalités sont exacerbées. Pourquoi, alors que deux postes correspondant à son grade sont vacants à La Réunion, l'administration lui impose-t-elle une mutation à 13 000 kilomètres de distance ? C'est une bouteille à la mer que je lance vers vous, monsieur le ministre, car nous n'avons obtenu aucune réponse de la part du ministère de l'intérieur et des outre-mer. Si la fonction publique doit montrer l'exemple, peut-être pourriez-vous commencer par apporter des solutions à Valérie en particulier et aux outre-mer en général, où les retards en ce domaine sont criants.

C'est ce type de décision administrative incompréhensible qui fait renoncer certaines femmes à leurs ambitions professionnelles et les pousse à accepter des postes pour lesquels elles seront certes surqualifiées, mais qui auront moins de répercussions sur leur vie personnelle. C'est tout le fonctionnement de notre société qu'il nous faut repenser pour parvenir à l'égalité. Parce que celle-ci ne se décrète pas mais se construit et parce que cette proposition de loi comporte de réelles avancées, nous voterons en sa faveur.

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